ANALYSE DU SYSTEME SANITAIRE DU SENEGAL

Contexte global de l’étude

Le 25 mai 2022, le Sénégal était sous le coup du choc suite au décès de onze (11) bébés dans un incendie à l’hôpital public de Tivaouane, région de Thiès. Cet incident, particulièrement douloureux, vient rallonger la liste de plusieurs drames survenus dans les hôpitaux publics ces derniers jours et qui sont encore frais dans la mémoire des Sénégalais.

En effet, ce scandale intervient juste un an (25 avril 2021) après celui de l’hôpital Maguette Lô de Linguère, dans le nord du pays où quatre (4) nouveaux nés périssaient dans un incendie et un mois après (7 avril 2022) la mort d’une femme enceinte à l’hôpital public de la ville de Louga, après avoir demandé en vain une césarienne, ce qui avait provoqué une vive émotion dans tout le pays.

Cette succession de scandales suscite des interrogations sur le système sanitaire sénégalais déjà éprouvé par la pandémie de Covid-19.

Dans cette succincte note, nous nous proposons

(i) d’analyser la situation globale du système sanitaire en Afrique et au Sénégal ;

(ii) identifier les leviers qui pourraient d’améliorer les performances de ce système mal-en-point.

I. Situation globale des systèmes de sante en Afrique et au Sénégal

1. Situation des systèmes de santé en Afrique

Alors que la population de l’Afrique devrait atteindre 2,4 milliards d’habitants en 2050, soit 22% de la population mondiale contre 15% actuellement, la problématique de son système de santé se pose avec acuité.

  • Caractéristiques des systèmes de santé en Afrique

 

La plupart des systèmes de santé des pays africains sont moins performants au regard des insuffisances observées. En Afrique, les populations ont difficilement accès aux soins essentiels.

Par ailleurs, le système sanitaire africain se caractérise par la qualité des prestations qui demeure un défi majeur et par une faible capacité de résilience. La résilience d’un système de santé désigne sa capacité intrinsèque à assurer la prestation des services de santé essentiels et connexes, même en cas de flambées, de catastrophes ou d’autres chocs.

Dans son rapport d’analyse sur l’état de santé dans la région africaine, l’OMS évalue la performance des systèmes de santé en Afrique sur la base de certains indices sur une échelle de 0 à 1 comme suit :

Ces insuffisances observées s’expliquent principalement par un manque de personnel soignant hautement qualifié, surtout dans certaines spécialités, et un faible niveau d’investissements dans les infrastructures sanitaires.

 

  • Manque d’investissements dans les infrastructures sanitaires en Afrique

 

Dans la majorité des pays africains, il y a un manque important d’infrastructures sanitaires. Pour 100 000 habitants, il existe en moyenne :

  • Entre 1 et 3 hôpitaux selon la catégorie du pays (pays à revenu intermédiaire ou à revenu faible)
  • Entre 8 et 10 postes de santé
  • Moins de 5 centres de santé
  • Moins de 2 hôpitaux ruraux ou de district.

 

Ce manque d’infrastructures sanitaires se justifie principalement par l’insuffisance d’investissements.

L’analyse des différents systèmes sanitaires montre que la part du budget allouée à l’investissement dans les infrastructures demeure très faible. En effet, les pays africains ne consacrent que 7,3% de leur budget aux investissements dans les infrastructures sanitaires contrairement aux pays ayant des systèmes performants qui y affectent 33,1%

Source : OMS
  • Manque d’investissements dans le développement des Ressources Humaines

 

En moyenne les pays africains disposent de 2 médecin pour 10 000 habitants contre 18 au niveau mondial.

Cette faible densité notoire du personnel soignant en Afrique s’explique par le manque d’investissements dans le développement des compétences. La majorité des pays africains consacre seulement 14,4% de leur budget de santé au développement des ressources humaines contre 40,2% pour les pays aux systèmes sanitaires performants.

Source : OMS

Globalement, la contreperformance des systèmes de santé en Afrique s’expliquerait par la mauvaise allocation des budgets de santé.

La plupart des pays africains affecte moins de ressources au développement des infrastructures et du personnel comparé aux pays dont le système sanitaire est performant. La grande partie des budgets de santé dans les pays africains est affectée à la mise en place des processus (39,2%) et à l’achat ou production des médicaments (39,2%).

2. Situation globale de la santé au Sénégal

A l’instar des autres pays africains, le système sanitaire sénégalais souffre de plusieurs maux. Les évènements douloureux et malheureux survenus au cours de ces derniers mois en sont la preuve.

  • Manque et inéquitable répartition des infrastructures sanitaires

Au 31 décembre 2019, le Sénégal disposait de 40 établissements publics de santé (EPS) pour un total d’environ 10 060 lits. La région de Dakar seule compte 14 de EPS, soit une concentration de 35% des structures. Ces infrastructures sont très insuffisantes pour assurer une couverture adéquate des besoins en santé de toute la population sénégalaise.

Par ailleurs, compte tenu d’une part, de l’accroissement démographique rapide d’une part, et d’autre part du manque d’infrastructures sanitaires, la capacité d’accueil a fortement baissé, passant de 13,1 à 3 lits pour 10 000 habitants entre 1960 et 2008.

Source : Banque Mondiale

Toutefois, des efforts ont été consentis en matière d’investissements dans les infrastructures sanitaires afin d’augmenter la capacité d’accueil. On a pu ainsi assister à l’inauguration de 4 nouveaux hôpitaux pour un total de 750 lits en 2021 répartis comme suit :

  • Hôpital de Touba : 300 lits
  • Hôpital de Kédougou : 150 lits
  • Hôpital de Sédhiou : 150 lits
  • Hôpital de Kaffrine : 150 lits

 

  • Déficit et inéquitable répartition des Ressources Humaines

 

Sur le plan des Ressources Humaines, le Sénégal comptait moins de 14 300 professionnels de santé en 2018 dont 46% sont concentrés dans la région de Dakar. En 2017, le ratio de couverture est de 1 médecin pour 10 000 habitants contre 18 au niveau mondial, 2 en Afrique Subsaharienne et 49 dans la zone Union Européenne.

Source : Banque Mondiale

Par ailleurs, dans plusieurs structures sanitaires, on déplore l’absence de certains spécialistes comme : les néphrologues, les ophtalmologistes, les neurologues, les cancérologues. On relève aussi l’absence, dans plusieurs hôpitaux, des certaines spécialités telles que la cardiologie, la dermatologie, la diabétologie, etc.

  • Indisponibilité des services de base dans plusieurs structures de santé

En moyenne, seules 68% des structures de santé offrent tous les services de base : les consultations prénatales, services d’infections sexuellement transmissibles (IST), vaccination infantile, soins curatifs infantiles, suivi de la croissance des enfants, etc. La conséquence directe de cette situation est l’inaccessibilité de la population à certains services de base dans plusieurs localités.

Par ailleurs, selon le ministère de la santé, l’analyse de la situation des structures sanitaires spécialisées dans la prise en charge des urgences, a révélé que :

  • seuls 76% des EPS (28 / 37 EPS) disposent d’un service d’accueil des urgences (SAU) ;
  • sur les 28 SAU existants, aucun n’est aux normes maximalistes ;
  • 7% des SAU répondent aux normes minimalistes ;
  • 61% des centres de santé ne disposent pas d’Unité d’Accueil des Urgences (UAU) ;
  • seuls 39% des Centres de santé disposent d’UAU aux normes ;
  • 67% des blocs opératoires (16 / 24) mis en place dans les centres de santé sont non fonctionnels (dont 59% par faute d’équipements et de ressources humaines).

 

  • Offre privée très faible

 

L’offre privée demeure très faible. Sur l’ensemble du territoire, on compte que 2 754 structures privées de soins (SPS) dont  51,82% se trouvent à Dakar. A l’échelle nationale, on compte en moyenne 0,51 SPS pour 10 000 habitants. Par ailleurs, parmi ces SPS, on ne compte que 4 hôpitaux privés répartis entre Dakar (2) et Thiès (2).

  • Sous financement de la santé au Sénégal

 

Au Sénégal, la santé publique et les projets sanitaires sont financés sur la base d’un budget adopté chaque année. Malgré la pandémie de Covid-19 qui a mis à une rude épreuve les différents systèmes de santé et qui fait prendre conscience de l’importance d’un secteur de la santé dynamique et efficace, en 2022, l’Etat du Sénégal ne consacre que 5,4% de son budget à la santé. Cette part est de loin inférieure au seuil cible de 15% recommandé par les chefs d’Etats africains à Abuja en 2001.

II. Quelques pistes pour développer le système sanitaire au Sénégal

Avec une démographie galopante, susceptible de doubler au cours des trente (30) prochaines années, le besoin de développer des infrastructures sanitaires de qualité et disposer des ressources humaines suffisantes, devient de plus en plus urgent.

Comment le Sénégal peut-il développer son système de santé  afin de répondre aux besoins de la population actuelle et future, compte tenu des contraintes budgétaires ?

ACT Afrique propose ici quelques mécanismes de financement innovants que le gouvernement du Sénégal pourrait exploiter.

1. Situation des systèmes de santé en Afrique

Offrir des soins de qualité exige des ressources humaines qualifiées. Bien que le Sénégal dispose d’universités publiques et d’écoles privées de formation dans le domaine de la santé, il existe très peu de spécialités. Un renforcement de l’offre de formation est incontournable afin de pouvoir faire face aux défis de l’heure en matière de santé.

A ce niveau aussi, l’Etat peut s’associer au secteur privé national et étranger qui regorgent des ressources nécessaires pour investir dans la formation des élites dans les spécialités telles que la cancérologie, la diabétologie, l’infectiologie, la virologie, cardiologie, la dermatologie, la pneumologie, etc.

2. Miser sur les partenariats publics privés (PPP)

Le partenariat public-privé (PPP) est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à un ou des prestataire(s) privé(s) pour financer, construire et/ou gérer une infrastructure assurant ou contribuant au service public. L’utilisation de l’approche par les PPP permet de mettre à contribution le secteur privé afin de tirer profit de son expertise et de ses ressources.

Longtemps utilisé dans le cadre des projets d’infrastructures de transport, d’énergie, etc., le modèle de PPP a fait son apparition dans la santé dans les années 90. Il existe traditionnellement trois types de modèles de PPP dans le domaine de la santé :

  • Le modèle basé sur les infrastructures ;
  • Le modèle intégré ;
  • Le modèle des services cliniques discrets.

 

Le succès des PPP en matière de santé repose sur certains préalables :

  • Conditions économiques et juridiques stables ;
  • Répartition appropriée des risques ;
  • Expérience suffisante des différentes parties ;
  • Sélection d’un partenaire privé réputé ;
  • Capital initial suffisant.

 

Au Sénégal, les PPP dans le secteur sanitaire sont à l’état embryonnaire bien qu’un cadre légal ait déjà été mis en place pour encadrer ces partenariats. Des efforts supplémentaires sur le plan des reformes doivent être donc consentis afin d’attirer davantage les investissements privés en faveur du secteur de la santé.

3. Mettre en place un fonds d’investissement souverain dédié à la santé

Ce fonds sera chargé d’investir dans la construction, modernisation, réhabilitation des infrastructures sanitaires sur l’ensemble du territoire. Il pourra investir au nom de l’Etat dans les projets privés relatifs à la santé, notamment dans le développement des industries pharmaceutiques, dans la biotechnologie, dans les équipements de la santé, cliniques de classe mondiale ou dans les PPP initiés.

L’implication directe de l’Etat à travers une prise de participation de ce fonds dans les projets sanitaires d’envergure permettra de susciter et d’augmenter l’appétit du secteur privé pour lesdits projets. Ce fonds pourrait être financé à travers :

  • Les surtaxes collectées sur les produits toxiques (le tabac, l’alcool, etc.) ;
  • La mobilisation des ressources des bailleurs de fonds internationaux ;
  • La mobilisation des capitaux propres auprès des investisseurs nationaux et internationaux.

ACT Afrique dispose de l’expertise nécessaire pour structurer et mettre en place un tel fonds.

4. Exploiter le modèle de financement par les ressources naturelles

Le modèle des infrastructures financées par les ressources naturelles (IFR) est un mécanisme par lequel un État peut obtenir des infrastructures essentielles sans avoir à produire des recettes suffisantes pour assurer son financement. En effet, lorsque l’Etat ne peut recourir à une dette souveraine, il peut contracter un crédit dont le remboursement est adossé aux revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles.

De ce fait, compte tenu des contraintes imposées par les Institutions comme le FMI, le modèle IFR offre une opportunité à l’Etat du Sénégal de pouvoir développer ses infrastructures sanitaires en misant sur les revenus générés par l’exploitation prochaine du pétrole et du gaz.

Ce modèle a pour avantage de permettre les décaissements immédiats du prêt pour la construction de l’infrastructure, généralement peu après la signature du contrat couvrant à la fois le projet d’infrastructure et l’extraction ou l’exploitation de la ressource naturelle tandis que le remboursement ne débute qu’au moins une dizaine d’années plus tard.

Conclusion

Les drames vécus ces derniers temps, en plus de la pandémie de Covid-19, ont permis de révéler la vulnérabilité et la défaillance du système sanitaire sénégalais.

Dans ce contexte, de nouvelles politiques en matière de santé s’imposent à tous les gouvernements, sans exception, afin de garantir l’accès aux meilleurs soins à moindres coûts à toutes les couches sociales d’une part, et d’anticiper de nouvelles épidémies et d’éviter de nouveaux drames d’autre part.

Pour ce faire, l’Etat du Sénégal devrait adopter de nouvelles approches en misant sur les nouveaux mécanismes de financement tels que les Partenariats Publics Privés, le financement par les ressources naturelles, la mise en place d’un fonds afin de développer son secteur de la santé, notamment les infrastructures sanitaires, les ressources humaines, la couverture maladie universelle, etc.

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